Une personne âgée peut-elle apprendre à rapidement mémoriser un jeu de cartes? Peut-on développer n’importe quelle habileté à n’importe quel âge?

Commençons par la mauvaise nouvelle: l’âge n’est malheureusement pas qu’un numéro et le temps cause de réels dommages au corps et au cerveau. D’éminents neuroscientifiques comme Adam Gazzaley affirment même que, de leur point de vue, on commence à être “vieux” dès la mi-vingtaine, soit l’âge où commence théoriquement une lente dégénérescence de nos facultés intellectuelles. La bonne nouvelle, c’est que c'est que la majeure partie de cette “dégénérescence” n’est ni inévitable, ni irréversible.

Ce qui rend l’apprentissage réalisable, c’est le remarquable niveau d’adaptabilité du corps et du cerveau humain. Les transformations sont plus faciles et plus rapides à certains âges qu’à d’autres, mais elles restent presque toujours possibles. Aussi longtemps que votre corps reste fonctionnel, vous pouvez développer de nouveaux muscles ainsi que de nouvelles habiletés intellectuelles. La neuroplasticité, soit la formation de nouvelles connexions neuronales, est un phénomène qui perdure tout au long de notre vie. Pour un individu motivé qui s’y prend de la bonne façon, devenir compétent à la pratique d’une activité nouvelle ne prend qu’une vingtaine d’heures de pratique réparties sur quelques semaines. Cette estimation doit sans doute être révisée à la hausse après un certain âge, mais est-ce si dramatique? Soyons très pessimistes et supposons qu’il vous faille 100 heures ou lieu de 20 pour, disons, apprendre à jouer d'un nouvel instrument de musique avec un minimum d'aisance. Cela resterait un objectif tout à fait réaliste. Faites le calcul. En pratiquant 45 ou 50 minutes par jour, 5 jours par semaine, vous pourriez développer deux habiletés complexes et complètement nouvelles au cours d’une année. Pour “trouver le temps”, il suffirait de couper un peu dans les 34 heures de télévision hebdomadaires qu’écoutent en moyenne les Québécois, sans parler des cellulaires et des mille et une façons de perdre son temps sur Internet. Même si pour une raison quelconque, vous commencez et abandonnez en chemin, le processus va rester plaisant et enrichissant.

Qu’en est-il de l’art de la mémoire? Quelques jours avant d’écrire cet article, j’ai donné une conférence devant une foule composée uniquement de gens du troisième âge. Ils ont réussi les exercices avec le même plaisir et la même facilité que les autres groupes à qui j’ai enseigné dans le passé. Il semble qu’il n’y a pas d’âge où l’on cesse d’être capable de visualiser un lieu et une petite histoire. Comme je l'explique habituellement, dès que l'on fait l'effort de les utiliser, les techniques de mémorisation apportent même aux débutants plusieurs bénéfices immédiats. Cependant, il faut un certain entraînement avant de pouvoir les utiliser avec une certaine aisance. Combien de temps? Beaucoup moins que pour la plupart des habiletés. Quant à savoir si c’est hors de portée des plus vieux, je vous réfère à ce qu’est parvenu à mémoriser l’auteur Lynne Kelly durant les dernières années. Wow! Bon d’accord, bien qu’elle aura bientôt 67 ans, elle reste manifestement brillante et particulièrement motivée. Qu’en est-il des gens qui ne sont pas aussi en forme ou pas aussi passionné? À ce sujet, je vous inviterais à jeter un coup d’oeil à cette bien intéressante petite étude. Je n’ai malheureusement pas d’étude plus récente ou plus importante à vous présenter (je vous le dirai quand j’en trouverai), mais je pense qu’elle reste pertinente. Sept patients âgés et souffrant de sévères problèmes de mémoire y ont été entraînés à l’utilisation de l’art de la mémoire. On parle de cas lourds ici, des gens qui sont bien souvent incapables de retenir une liste de trois mots. Trois des sept patients n’ont malheureusement fait aucun progrès significatif. L’auteur de l’étude explique cela par les particularités de leurs problèmes de santé et par le fait que “none of these patients could form vivid visual images, none had any recent memory modality preserved, non were aware of their memory defect or interested in improving it.” Pour les quatre autres cependant, les progrès sont loin d’avoir été minimes. Après un entraînement avec quelques tâches plus simples, “an assignment to memorize the US presidents is easily carried out and the successful patients are usually showing off their memory skill before friends and family”. Si vous avez de votre propre initiative trouvé ce site et lu cet article, vous êtes presque certainement en meilleure position que les patients de cette étude.

En ce qui me concerne, je me sens subjectivement beaucoup plus allumé à trente-cinq qu’à vingt ans. Sûrement que pour quelques tâches, exceller à certains jeux vidéos par exemple, mon potentiel était alors plus élevé qu’il ne l’est aujourd’hui. Mais pour le reste, je suis en meilleure forme physique, je suis plus actif, j’ai beaucoup plus de connaissances, je suis plus calme, plus stable émotionnellement, j’ai davantage confiance en moi et surtout, j’ai développé toute une série d’habiletés qui m’auraient jadis semblé inatteignables. Quand j’aurai 70 ans, je vais sans doute courir plus lentement et avoir plus de difficulté à battre mes records de mémorisation, mais je m’attends à pouvoir faire la grande majorité de ce que je sais faire aujourd’hui et plus encore. Je m’attends également à être toujours en mesure de développer des habiletés complètement nouvelles. Peut-être pas le breakdancing ou l’escalade extrême sans corde, mais certainement des habiletés comme la musique, les arts, la danse ou l’apprentissage d’une langue. Bon d’accord, c’est facile à dire pour moi aujourd’hui. On en reparlera dans trente ou quarante ans, voir si je suis toujours aussi prétentieux! Je pourrais bien sûr développer des problèmes de santé qui me feraient ravaler toutes mes paroles. Mais tant que j’aurai l’usage de mon cerveau, j’ai bien l’intention de continuer d’apprendre.

Conclusion: l’apprentissage est plus lent et plus difficile après un certain âge, mais il reste presque toujours possible. Si j’affronte un coureur olympique et un petit vieux (expression utilisée affectueusement!) dans une course folle jusqu’au parc le plus près, je n’ai pas besoin de vous dire qui va arriver premier et j’espère bien réussir à être deuxième. Quant au petit vieux, ses chances d’arriver en première place sont bien minces, mais tant qu’il continue à avancer, au bout du compte on va tous arriver au même endroit.

 

Quelques précisions supplémentaires:

- Le neuroscientifique Adam Gazzaley, cité au début de cet article, est également impliqué dans toute sorte de projets innovateurs et enthousiasmants pour permettre aux gens de tout âge de développer leurs habiletés intellectuelles. Malheureusement, les programmes développés par son laboratoire sont encore des outils de recherche et ne sont pour l’instant pas disponibles au grand public. Si le sujet vous intéresse, je vous invite à télécharger cette fascinante entrevue.

- Nous n’avons présentement aucune façon de guérir l’Alzheimer ou de le prévenir de façon sûre. Il semble même qu’après un certain âge, tous les cerveaux presque sans exception montrent certains signes de cette maladie. Cependant, nous avons de bonnes raisons de croire que les gens qui se maintiennent actifs physiquement, intellectuellement et socialement, qui ont des objectifs et qui se lancent des défis vieillissent avec beaucoup plus de facilité. C’est-à-dire que même lorsque leurs cerveaux commencent à subir des dommages, ils ont suffisamment de “réserves cognitives” pour ne pas souffrir des effets. Il faut toujours faire attention avec ce genre de données, mais sachez que les gens bilingues, par exemple, commencent à souffrir d’Alzheimer quatre ou cinq années plus tard en moyenne que le reste de la population. Plus vous maîtrisez de langues différentes, plus l’effet est spectaculaire. Bien sûr, je ne peux faire aucune promesse à cet égard, mais les signes me semblent encourageants. Pour plus de détail, vous pouvez vous rendre à votre bibliothèque préférée et chercher le numéro “July/August 2016” du magazine Scientific American Mind.

- Pour conserver son cerveau en santé, les éléments les plus importants sont le sommeil, l’alimentation saine, l’exercice physique, l’exercice intellectuel, la socialisation et, dans une moindre mesure, la méditation. Je traiterai de ces sujets de façon plus approfondie une autre journée. Pour ce qui concerne l’entraînement intellectuel, cet article de la revue Scientific American offre plusieurs pistes à explorer.